Rencontre avec Anne : être une Femme dans un Milieu d’Hommes
Être une femme dans un milieu d’hommes n’est pas un parcours toujours simple ! Tapez le terme « métier masculin » sur Google, et vous trouverez que le métier de menuisier est occupé à 98,30% par des hommes. C’est un des emplois qu’Anne a exercés.
Elle a, en grande majorité, travaillé dans un milieu masculin. Elle nous fait part tout au long de son récit de ses réussites, et avec beaucoup de pudeur, de ses déceptions.
J’espère que vous serez inspirée par cette femme de caractère, qui a connu, comme nous toutes, des hauts et des bas dans sa carrière professionnelle, et qui a évolué dans un environnement professionnel pas très commode.
Depuis combien de temps travaillez-vous dans un environnement masculin ? Quel âge avez-vous ?
J’ai 30 ans et j’évolue dans des métiers traditionnellement masculins depuis mes 15 ans, lorsque je suis entrée au lycée.
Dans quel domaine avez-vous travaillé jusqu’à maintenant ?
J’ai étudié dans le domaine technique, en génie mécanique, puis le costume de spectacle qui est majoritairement féminin, ensuite j’ai fait des petits boulots, beaucoup d’intérim, j’y ai rapidement retrouvé un environnement masculin. J’ai fait de la manutention, puis j’ai évolué vers la menuiserie.
Ensuite j’ai fait un enfant, et il m’est devenu impossible de trouver un emploi de menuisier, alors j’ai refait de l’intérim, de la manutention, de la logistique et de l’artisanat.
Vous avez toujours travaillé dans un environnement professionnel masculin ?
Non pas exclusivement, mais majoritairement c’est certain.
En ayant travaillé avec des femmes, quelles sont les différences ? Est-ce que cela vous manque ?
On papote, on papote, on papote… Beaucoup d’hommes sont taiseux dans mon domaine, pour moi qui suis très bavarde c’est difficile ! Dans une majorité des ateliers où j’ai travaillé, il y avait une ou deux femmes. Généralement ça se passe bien, on partage les mêmes problématiques, on se soutient et surtout on est contente de trouver quelqu’un avec qui bavarder.
Mais parfois c’est plus difficile. Je pense que c’est plus difficile avec celles qui ont des problèmes d’égo, elles semblent se sentir menacées par les autres femmes. Une fois, une collègue m’a reproché de lui avoir « volé son harem » (oui, ce sont ses mots !). Une autre m’a fait vivre l’enfer !
Être une femme dans un milieu d’hommes relève-t-il du défi ?
Non, pour moi travailler dans un milieu masculin est plutôt agréable. En général les hommes qui acceptent de faire travailler une femme dans mon domaine encore très macho, sont plutôt ouvert d’esprit, l’échange est donc agréable. Certains de leurs employés peuvent mal le vivre, mais personnellement j’adore voir que je les bouscule, leur montrer que je sais faire aussi bien qu’eux, les forcer à remettre en question leurs préjugés !
Yes we can !
Avez-vous subi des remarques sexistes au quotidien ? Comment avez-vous réagi ?
Au quotidien ? Comme du harcèlement ? Non, je crois que certains ont essayé, mais j’ai subi du harcèlement à l’école, suffisamment longtemps pour savoir y faire face. J’ai décidé à l’époque de ne plus jamais me laisser faire. J’ai une grande gueule et une très bonne répartie, c’est très utile. J’ai également su faire appel à mes supérieurs lorsque les choses sont allées trop loin !
Généralement ceux qui sont réellement hostiles à ma présence m’ignorent, ce que je vis très bien.
Une fois de temps en temps ils me disent directement que ma place est à la maison, ou ils le sous-entendent. Je laisse ces gens à leur croyance, car je sais que ce n’est que gâcher mon énergie d’essayer de les faire changer d’avis.
L’humour est très utile également, certains peuvent faire des blagues douteuses, mais je sais très bien leur répondre avec le sourire. S’ils n’aiment pas être décontenancés devant une femme ils ne recommencent pas, sinon cela devient un jeu.
Il faut faire ses preuves en permanence ? Encore davantage que ses collègues masculins pour gagner leur confiance ?
Oui ! Clairement !
Il y a plusieurs profils :
- Certains hommes sont chevaliers, ils veulent nous aider en permanence, mais c’est un problème car ça nous empêche de nous faire respecter et de faire nos preuves.
- D’autres nous testent, ils attendent notre moment de faiblesse pour se prouver que nous sommes incapables. C’est un régal de leur clouer le bec !
- Les responsables, patrons ou chefs d’atelier, eux, sont plus inquiets, ils nous expliquent des évidences, oubliant que nous avons fait des formations et que nous avons de l’expérience, donc des connaissances ! Ceux là sont les plus faciles à convaincre, ils ont juste besoin de voir de quoi nous sommes capables !
- Il y en a qui se prennent pour notre père, ils veulent nous protéger, nous guider… c’est ceux-là dont il faut le plus se méfier, si on les laisse faire, ils se croient tous permis. Je fais en sorte de vite les éloigner de moi, j’ai déjà un papa qui me suffit amplement !
- Et puis, il y a les perles rares, des hommes bienveillants qui sont ravis de voir arriver des filles dans leurs atelier, qui veulent vraiment nous voir réussir et qui nous apporte tout leur soutien !
Quoi qu’il en soit, rares sont les entreprises où les hommes s’attendent à ce que l’on soit capable. Les premiers temps, lorsqu’on est une femme dans un milieu d’hommes, on est sur la défensive. Il faut savoir montrer ses compétences : dans mon domaine elles sont techniques autant que physiques, je soulève seule des objets lourds ou encombrants que beaucoup d’hommes portent à deux.
Au bout d’un certain temps je peux demander de l’aide mais au départ, il faut que je leur montre que je suis autonome, si physiquement c’est impossible, il y a toujours un petit bricolage ou une manœuvre à faire pour y arriver.
Je me pose souvent la question « est-ce qu’un homme le ferait seul ? », si la réponse est oui, je trouve un moyen de me débrouiller.
Au début c’était difficile, il faut un peu de temps pour développer une bonne musculature, ensuite une femme peut en faire autant qu’un homme.
Mais je sais aussi faire preuve d’humilité, je ne peux pas tout savoir en arrivant sur un poste, quand il y en a, je pose des questions. Je reste vigilante sur la réponse, je n’accepte pas qu’on me prenne de haut, ou être décrédibilisée parce que je suis une femme.
Alors oui, quand on est une femme dans un milieu d’hommes, on doit clairement en faire plus qu’un homme, on doit casser les préjugés et les mauvaises expériences. Lorsqu’une femme laisse un mauvais souvenir dans un atelier, certains en concluent que les femmes sont toutes incompétentes !
Avez-vous eu du mal à vous faire respecter en tant que femme ?
La première année au lycée à été difficile, les garçons de ma classe m’ont dit « tu es une fille tu n’as rien à faire là ! »
L’année suivante on m’a dit que je n’étais pas une « vraie fille »
Progressivement j’ai appris à faire ma place puis à jouer à « celui qui pisse le plus loin », pas littéralement bien sûr, mais c’est un jeu très marrant de mon point de vue ! J’ai appris à développer ma virilité !
Je ne joue plus à qui pisse le plus loin, j’ai appris ensuite à me faire respecter en étant simplement une femme qui a confiance en elle ! Un juste équilibre de féminité et de virilité. Il faut parfois savoir être une femme et penser comme un homme !
Est-ce qu’il vous est arrivé de vous sentir seule ?
Oui, mais ça ne venait pas forcément du milieu masculin, il y a simplement des entreprises où je n’ai eu d’atomes crochus avec personne en particulier !
Est-ce que vous pensez que ça vous a rendu plus forte ?
Les expériences de la vie, privée ou professionnelle et le travail sur moi m’ont rendu plus forte. Mais pas le fait de travailler spécifiquement avec des hommes.
Au final, vous pensez que vous avez réussi à faire votre place ?
Je n’ai pas d’emploi actuellement alors c’est difficile de dire que j’ai fait ma place, mais je me sens légitime dans ce que je fais et c’est en train de m’ouvrir des portes, c’est une belle réussite ! Et surtout quand j’arrive dans une nouvelle entreprise je ne livre plus une bataille pour me faire respecter, cela devient naturel !
J’ai appris, par des expériences difficiles, l’importance de faire des choses qui me plaisent, et de travailler dans un environnement sain où l’on respectera ce que je suis. Mais cela est vrai dans un environnement masculin comme féminin.
Vous dites que les choses se sont compliquées lorsque vous êtes tombée enceinte. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Quel a été le comportement de vos collègues ? Avez-vous dû changer de travail ? Est-ce que votre vie personnelle a été touchée ?
Lorsque je suis tombée enceinte je travaillais en intérim, mais toujours pour la même entreprise. C’est illégal, mais comme beaucoup d’entreprises, ils faisaient travailler les mêmes intérimaires sur leur période de charge, soit 9 mois sur 12. Je n’ai pas eu d’autres postes pendant les trois mois de période creuse, de l’aveu de l’agence d’intérim, il est plus difficile de placer les femmes, en tous cas dans le domaine du BTP.
Les patrons sont persuadés qu’on n’aura pas assez de force pour assumer les travaux, ceux qui se sont senti suffisamment désespérés pour me laisser ma chance, ont découvert abasourdis qu’ils avaient tort. Je l’affirme car j’ai eu l’occasion à plusieurs reprises d’échanger sur ce sujet avec différents responsables.
Ensuite j’étais trop enceinte pour reprendre le travail, et à la fin de mon congé maternité les choses se sont compliquées. Je m’attendais à retrouver un emploi facilement, mais les agences d’intérim ne me rappelèrent jamais. Au début nous vivions sur Lyon, j’ai pensé que le fait que je ne puisse plus faire les 2x8 dans une région où il y a beaucoup d’industries était un trop gros frein. Puis mon compagnon a perdu son emploi, financièrement c’est devenu de plus en plus compliqué.
Nous avons quitté notre logement et sommes partis vivre chez mes parents, dans la Drôme, avec notre petite fille de 9 mois. Là j’ai postulé à quelques annonces d’emplois, et j’ai fait le tour de toutes les entreprises de menuiserie de la région et des agences d’intérim avec mon CV.
Après plusieurs mois de chômage j’ai commencé à postuler sur des offres qui ne correspondaient même pas à mon domaine pour peu qu’on accepte de me former. Plusieurs entretiens plus tard j’ai fini par comprendre ce qui clochait. J’ai passé un entretien d’embauche, il s’agissait d’un métier « rare » pour lesquels il n’existe pas de formation, alors ils avaient l’habitude de former leurs employés sur le tas, ils comptaient un an avant d’être efficace au poste.
J’ai passé une heure et demi à échanger avec le couple de patrons et leur chef d’atelier, d’après l’agence d’intérim le précédant entretien avait duré 15 minutes. J’étais vraiment confiante car le feeling semblait très bien passer, mais la dernière question de la patronne sur le pas de la porte fût « Vous avez un enfant en bas âge, vous allez en vouloir un deuxième ? ». Je n’ai pas eu le poste !! Il y a eu très clairement une discrimination à l’embauche.
J’ai dû accepter des postes alimentaires, comme de la mise en rayon chez Amazon (oui, on met en rayon chez Amazon, pour que les articles puissent être mis en vente, et récupérer par les préparateurs de commande), que je trouvais dégradants, entre autres, car ils ne correspondaient pas à mes principes.
Puis j’ai trouvé un emploi dans une SCOP qui prônait la tolérance, et surtout ne basait pas son choix sur ma vie personnelle mais sur mes compétences. Malheureusement leur chef d’atelier était… « malsaine ». Ironie du sort, elle ne voulait pas d’une femme dans son atelier !!!
Elle ressentait le besoin d’insister sur le fait que ce serait un poste très physique, elle doutait du fait qu’une femme puisse tenir le poste, alors qu’elle assumait elle-même les mêmes tâches et qu’elle faisait la moitié de ma carrure ! La direction n’a pas dû lui laisser le choix car j’ai intégré le poste, mais elle m’a fait vivre l’enfer pendant 9 mois. Le pire boulot de ma vie ! Elle me dénigrait, ne me disait pas bonjour, refusait de me donner les informations nécessaires à ma formation, m’agressait verbalement… La définition même d’un environnement professionnel toxique…
Je restais tétanisée face à cette femme qui me rappelait mon grand-père. Ce grand-père qui m’avait terrifiée durant mon enfance et face à qui je n’avais jamais eu le droit de me défendre !
J’étais déjà épuisée par une dépression post partum, des difficultés financières qui duraient depuis 6 ans, ma vie de couple qui n’en étais pas une… j’ai sombré !
Depuis deux ans je travaille à me reconstruire, d’abord physiquement car mon corps m’a violemment dit stop, puis mentalement et professionnellement.
Le récit d'Anne me fait vraiment prendre conscience que nous, les femmes, devont non seulement nous respecter, mais encore plus nous entraider. C'est le seul moyen d'être plus fortes. Dans nos sociétés, le terme de sororité prend tout son sens. Dis-le avec notre t-shirt façon solidarité féminine !